c’est la conclusion de cet article de Kummer Slivko et Zhang. Les auteurs ont étudié la relation entre les contributions dans Wikipedia et le chômage. A première vue il semble assez culotté d’imaginer que le second puisse influencer le premier et pourtant le résultat semble plutôt robuste. La bonne idée est d’avoir utilisé la crise de 2008 comme source exogène de variation. A partir de là, et c’est probablement l’hypothèse la plus contestable, les auteurs différencient deux groupes de pays, ceux qui ont subi les affres de la crise et ceux qui ne l’ont pas (ou plutôt peu subi), leur choix est dicté par la variation du taux de chômage, ceux qui ont eu la plus forte sont dans le groupe « traitement ».
Sans détailler la machinerie statistique qui valide le résultat le graphique ci-dessous permet de visualiser l’effet de la crise sur les contributions. En bleu les pays ayant subi la crise ont vu leur nombre de contribution sur Wikipedia augmenter. Ce que n’est pas le cas des pays ayant moins subi la crise. L’effet subsiste 24 mois après le début de la crise à la fois sur le nombre de lecteurs et la production d’articles.
Mais qu’est-ce que les chômeurs font de leur journée finalement ?
Evidemment il est difficile de recueillir des données fiables et complètes pour répondre sérieusement à cette question, l’une des bases de données les plus complètes est issue des American Time Use Survey où les répondants remplissent scrupuleusement des carnets de bord de leur activité quotidienne. Cette base a notamment été exploitée par Aguiar, Hurst et Karabarbounis qui ont assez précisément quantifié ce que les néo-chômeurs font chez eux avec les heures qu’ils auraient du passer au travail.
12% des heures non travaillées sont utilisées pour le travail domestique au sens strict (ménage, cuisine, jardinage), 5% pour s’occuper des enfants, 5% pour aider les autres adultes, 6% pour le bricolage et autres activités de maintenance domestique et 7% pour faire des courses et du shopping…mais la plupart des heures non travaillées sont utilisées pour le loisir ; regarder la télé, socialiser, dormir, prendre soin de soi représentent plus de 50% des heures non travaillées.
La tendance depuis les années 60 est à une augmentation régulière du temps consacré aux loisirs et une baisse du travail domestique, la grande récession n’a pas modifié cette tendance, elle l’a au contraire accentué.
Encore plus intéressant on trouve dans l’article d’Aguiar et ses coauteurs une petite sous-catégorie responsable d’une part significative de l’augmentation du temps consacré aux loisirs, appelée « autres loisirs ». Elle regroupe “entertainment other than TV (listening to music and playing with the computer), exercising, sports, and recreation,” and “hobbies” (arts, collecting, writing)”….Bon comme je doute que les américains se soient mis à faire du sport ou collectionner les timbres, on peut raisonnablement penser que l’ordinateur est en grande partie responsable de l’augmentation du temps de loisir pendant la période de la grande récession.
L’avenir c’est le bien public !
La conjonction de ces deux résultats nous dit quelque chose d’intéressant, la baisse du temps travaillé causé par la grande récession mais pourquoi pas également par la substitution croissante du travail qualifié par les algorithmes et les robots sera en partie transférée dans des heures passées devant l’ordinateur. Et même si nous y faisons beaucoup d’autres choses qu’écrire sur wikipedia du temps y sera mécaniquement consacré, ce qui peut signifier également plus de blogs, plus d’article sur wikipedia, plus de carte sur openstreetmap plus de logiciel libre, plus de réponses dans les forums etc.
C’est un transfert du marché vers le bien public, évidemment l’élasticité de substitution entre une heure travaillée et une heure passée à alimenter les biens publics numériques est probablement faible mais si elle était seulement non nulle comme le suggère ces articles nous aurions beaucoup à y gagner…