Cet article décrit les principaux résultats du document de travail intitulé « Do Social Networks Shape the Geography of Crowdfunding »
Le crowdfunding ou financement participatif fait désormais l’objet d’une importante littérature en sciences sociales, on trouve de nombreux travaux qui se sont tour à tour intéressés aux facteurs de succès d’une campagne, aux dynamiques collectives de contribution ou encore aux problèmes informationnels que le financement participatif promet de résoudre (voir par exemple Belleflamme et al., 2015, 2014; Schwienbacher and Larralde, 2012; Mollick, 2014)
Moins nombreux sont les travaux à s’être intéressés aux aspects géographiques du crowdfunding qui promet pourtant, en démocratisant l’accès au financement, de redessiner les territoires de la finance. Sur ces marchés l’asymétrie d’information domine, qu’il s’agisse d’une start’up prometteuse, d’une bande dessinée, d’un festival de musique country, le financeur doit évaluer avant que le projet ne prenne forme à la fois le sérieux du ou des porteurs, son expérience, sa compétence pour mener le projet à terme, mais également la satisfaction ou le bénéfice qu’il retirera de son investissement.
Dans un monde ou le crowdfunding n’existe pas vous avez deux solutions, le banquier ou tata Simone. Le premier a des fonds mais sera difficile à convaincre, la seconde ne devrait pas trop résister à votre argumentaire mais a sans doute moins de fonds que le banquier. Dans les deux cas la distance géographique entre celui qui demande les fonds et celui qui les offre est réduite afin de diminuer l’asymétrie d’information entre celui qui sait et celui qui aimerait savoir avant de financer. Le crowdfunding a en partie changé la donne, en proposant votre projet en ligne vous pouvez toucher de très nombreuses personnes où qu’elles soient et demander à chacun une petite part du financement nécessaire, il est donc possible de mobiliser l’ensemble des amateurs de musique country en France ou l’ensemble des fans de star wars prêt à acheter un sabre laser. Dans un célèbre article (Agrawal et al., 2015) ont montré qu’en moyenne sur Sellaband (pionnier du financement participatif) un artiste et son financeur étaient distant de 5000km, plus intéressant encore les premiers contributeurs d’une campagne sont géographiquement proches du porteur, ceux qui sont éloignés contribuent plus tardivement en s’appuyant sur le signal informationnel envoyé par les contributeurs proches (supposément en possession d’une meilleure information sur la qualité du projet).
Notons que la capacité des technologies numériques à réduire la distance physique n’est pas propre au financement participatif, dans le e-commerce plusieurs résultats montrent qu’Internet a effectivement permis de réduire certains couts liés à la distance (Lendle et al., 2012; Gomez-Herrera et al., 2014) même si subsistent des coûts « culturels » corrélés à la distance physique (la langue, les modes de paiement, les habitudes de consommation..).
En évaluant les coûts de la distance dans le financement participatif en France nous nous attendions à ce que ces derniers soient faibles voir très faibles. A la fois parce que les distances en France métropolitaines sont faibles (en comparaison avec les distances internationales ou celles qui prévalent à l’intérieur des Etats-unis) et ensuite parce qu’il existe relativement peu de différences culturelles (même langue, même monnaie, tradition et normes communes). A titre de comparaison chez (Hortaçsu et al., 2009) à l’intérieur des Etats-Unis, lorsque la distance double entre vendeurs et acheteurs sur E-bay, les échanges baissent de 10%….seulement.
Notre étude
Dans le cadre d’un projet nommé Reloc[1], nous avons eu accès à une base de données d’un des leaders français et européen du Crowdfunding. Nous avons pu mesurer en utilisant un modèle dit « gravitaire » le poids de la distance dans les flux de financement participatif entre départements métropolitains français. Tous les détails sont dans cet article mais nous avons travaillé sur 12OOO projets entre 2012 et 2015, plus de 450000 financements pour une valeur de 20 millions d’euros.
L’élasticité de la distance ainsi estimée est de 0.5, ce qui signifie qu’en doublant la distance les flux de financement entre deux régions sont divisés par 2. Dans un contexte où Internet doit justement permettre de réduire cette distance cette élasticité semble plutôt forte. Qu’est-ce qui peut alors réduire ces couts informationnels ?
Le rôle des réseaux sociaux ou le retour de tata Simone
Ceux qui ont déjà participé à une campagne de crowdfunding le savent bien, de nombreux projets et probablement même une majorité sont financés par des proches les « friends and family ». Ce n’est pas nouveaux c’est déjà le cas dans la finance traditionnelle (Kotha and George, 2012), mais ce qui est nouveau c’est qu’il est possible et moins couteux (en terme de couts de transaction) de mobiliser un large éventail de connaissances plus ou moins proches (amis d’amis etc…) pour aider au financement.
Pour prendre en compte l’effet de ces réseaux dans notre modèle gravitaire, nous avons mobilisé les flux de population entre départements (base de données INSEE sur les lieux de naissance et de résidence). Même s’ils ne constituent aucunement une photo exhaustive des liens sociaux entre territoires nous pouvons supposer qu’une personne née dans le département X et résidant dans le département Y en 2013 établit un lien entre ces deux territoires. Notre méthodologie est très proche de celle de (Combes et al., 2005) qui avaient utilisé les flux migratoires des travailleurs pour expliquer les échanges de biens entre départements.
Les cartes ci-dessous montrent la distribution géographique de l’origine des flux de financement participatif à destination des départements de l’Ile-de-France, Rhones-Alpes et Finistère ainsi que l’origine des flux migratoires entrants (immigrants) et sortants (émigrants).
Figure 1: l’Ile de France pour destination des flux
Figure 2: Rhône-Alpes pour destination des flux
Figure 3: Le Finistère pour destination des flux
La corrélation entre l’origine des flux de financement participatif et les migrations de population est évidente même si différentes trajectoires spatiales semblent coexister. Pour Paris par exemple la proximité géographique semble moins importante que le poids économique des départements. Les réseaux de migration entrants et sortants sont plus ou moins différents (particulièrement saillant pour Rhône-Alpes) et promettent ainsi d’expliquer différemment les flux de financement.
La fin de la distance ?
Une fois les flux migratoires introduits dans notre modèle le poids de la distance dans nos estimations diminue très fortement et disparait même sous certaines conditions. L’existence de liens sociaux entre deux zones géographiques apparaît comme un déterminant puissant des flux de financement par la foule au point de faire disparaître le poids de la distance. Dis autrement ce n’est pas parce que le financeur est loin du projet qu’il ne le finance pas c’est parce qu’ils ne se connaissent pas. On peut également noter que les immigrants ont un impact plus important sur les flux entrants dans un département que les émigrants. Pour un département donné, celui qui arrive mobilise plus facilement ces réseaux d’origine que celui qui part ne contribue à un projet de son département d’origine, les flux de financement participatif suivent les migrations.
D’autres résultats plus attendus viennent alimenter la discussion autour des déterminants des flux de financement participatif, plus les départements sont riches et peuplés plus ils échangent entre eux.
Il existe également une prime au financement « hyper » local, lorsque le projet et le financeur sont dans le même département le nombre de financement augmente de 300% à 400%. Cette non linéarité dans les effets de la distance (effet fort dans les interactions locales et diminuant drastiquement lorsqu’on franchit la frontière du département) sont caractéristiques des biens qui incorporent des informations « tacites » et non codifiables.
Nous sommes encore loin de l’économie en « apesanteur » prophétisée par certains. Dans le cadre du financement participatif seuls les réseaux sociaux semblent en mesure de réduire les fortes asymétries d’information auxquelles sont soumis les projets. Se dessine alors une géographie du financement participatif façonnée par les mouvements de population et l’histoire des relations entre les territoires.
Pour en savoir plus sur le projet Reloc :
Mariannig Le Béchec, Sylvain Dejean, Camille Alloing, Jérôme Meric. Le financement participatif des projets culturels et ses petits mondes . 2017. 〈halshs-01508423〉
Camille Alloing, Mariannig Le Béchec. Le design du public invisible dans le financement participatif. Le cas du territoire numérique de marques de Noob Le film !. H2PTM’17. Le numérique à l’ère des designs, de l’hypertexte à l’hyper-expérience, 2017. 〈hal-01620048〉
Bibliographie
Agrawal, A., C. Catalini, and A. Goldfarb (2015), “Crowdfunding: Geography, Social Networks, and the Timing of Investment Decisions,” Journal of Economics & Management Strategy, 24(2), 253–274.
Belleflamme, P., T. Lambert, and A. Schwienbacher (2014), “Crowdfunding: Tapping the right crowd,” Journal of Business Venturing, 29(5), 585–609.
Belleflamme, P., N. Omrani, and M. Peitz (2015), “The economics of crowdfunding platforms,” Information Economics and Policy, 33, 11–28.
Combes, P.-P., M. Lafourcade, and T. Mayer (2005), “The trade-creating effects of business and social networks: evidence from France,” Journal of International Economics, 66(1), 1–29.
Gomez-Herrera, E., B. Martens, and G. Turlea (2014), “The drivers and impediments for cross-border e-commerce in the EU,” Information Economics and Policy, 28, 83–96.
Hortaçsu, A., F.A. Martínez-Jerez, and J. Douglas (2009), “The Geography of Trade in Online Transactions: Evidence from eBay and MercadoLibre,” American Economic Journal: Microeconomics, 1(1), 53–74.
Kotha, R., and G. George (2012), “Friends, family, or fools: Entrepreneur experience and its implications for equity distribution and resource mobilization,” Journal of Business Venturing, 27(5), 525–543.
Lendle, A., M. Olarreaga, S. Schropp, and P.-L. Vézina (2012), “There Goes Gravity: How Ebay Reduces Trade Costs,” SSRN Scholarly Paper No. ID 2153544, Social Science Research Network, Rochester, NY.
Mollick, E. (2014), “The dynamics of crowdfunding: An exploratory study,” Journal of Business Venturing, 29(1), 1–16.
Schwienbacher, A., and B. Larralde (2012), “Alternative Types Of Entrepreneurial Finance,” in: The Oxford Handbook of Entrepreneurial Finance, Oxford, Douglas Cumming.
[1] Reloc (Réseaux sociaux et localisation du financement participatif culturel) est un projet financé par le DEPS et le labex ICCA avec la participation de plusieurs plateformes francaises de financement participatif. Ce projet a été mené avec Mariannig Lebechec, Camille Alloing et Jerome Meric. Yann Nicolas, Francois Moreau, les membres du workshop organisé par le DEPS à la fin du projet ainsi que les plateformes du projet sont a remercié pour avoir permis et facilité ces travaux.